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Olivia Sarton : « Le droit semble avoir perdu sa puissance réflexive pour devenir le valet des lobbies. »

11 octobre 2019 Karl Peyrade , ,

Olivia Sarton, ancien avocat, est Directrice adjointe juridique et communication des Juristes pour l’Enfance qui est une association qui œuvre à la défense des droits de l’enfant. Elle a bien voulu répondre aux questions du Rouge et Le Noir.

R&N : Quelle est votre vision du concept de bioéthique ? Ne s’agit-il pas de novlangue pour faire passer des avancées progressistes sous couvert de fausse morale ?

OLIVIA SARTON : La bioéthique (du grec bios : la vie, et ethikos : morale, ethos : mœurs) est un concept forgé au début des années 1960-1970 pour accompagner les avancées de la science. Selon le Conseil d’Etat [1], parler de bioéthique serait « faire référence aux principes de primauté de la personne humaine, respect de l’être humain dès le commencement de la vie, inviolabilité, non-patrimonialité du corps humain, intégrité de l’espèce humaine, dignité, liberté, et solidarité. [2] »

Si les mots ont un sens, la bioéthique est indispensable. Mais on peut constater que dès le départ, le cadre est ambigu puisqu’il n’existe pas de consensus sur la portée des principes exprimés. Ainsi, le respect de l’être humain dès le commencement se limite pratiquement pour le législateur à l’enfant déjà né. Lorsque l’on voit les titres donnés aux différentes parties ou chapitres du projet de loi de bioéthique - « Élargir l’accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques, reconnaître et sécuriser les droits des enfants nés d’assistance médicale à la procréation, promouvoir la solidarité dans le respect de l’autonomie de chacun, appuyer la diffusion des progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques, etc.  » - on se dit qu’effectivement on a basculé dans un verbiage à visée anesthésiante car le contenu des mesures est en contradiction avec ses effets d’annonce.

Aujourd’hui des scientifiques cherchent d’ailleurs à donner à la bioéthique une autonomie affranchie de toute éthique ou de toute morale ; ils prétendent que sa finalité est la recherche de la survie humaine. Ainsi, quelle que soit la recherche scientifique en cause, ils soutiennent l’examiner au regard des bénéfices supposés et des risques réels ou potentiels pour la survie de l’espèce humaine [3]. On perçoit les dérives d’une telle conception de la bioéthique, affranchie de l’anthropologie qui est la nôtre, une anthropologie de la finitude selon l’expression de la philosophe Bérénice Levet. Mais là, comme ailleurs, il ne faut pas s’avouer vaincu ; ce serait un peu facile ; il faut continuer à se battre pour qu’une véritable bioéthique existe.

R&N : Pensez-vous que le combat contre la PMA (procréation médicalement assistée) généralisée est d’abord à mener sur le front juridique étant donné que le droit constitue une technique au service de l’idéologie dominante ? N’est-ce pas avant tout un combat moral ?

OLIVIA SARTON : Votre question interroge sur ce qu’est le droit aujourd’hui. Au XIIIe siècle, pour entrer à la faculté de droit, il fallait préalablement étudier la philosophie à la faculté des Arts pendant une dizaine d’années. Le droit était soumis aux règles de la dialectique et de la démonstration, comme la discussion philosophique. Son objet était de discerner le juste (en latin, le droit se dit jus) et de régler les rapports entre les hommes pour faire respecter la justice et les ordonner au bien commun. Aujourd’hui on assiste à une évolution qui marque le recul de la pensée philosophique du droit pensé pour déterminer le juste, au profit de l’inféodation de la loi à la férule de l’économie. Le droit semble avoir perdu sa puissance réflexive pour devenir le valet des lobbies.

Les promoteurs de la loi de bioéthique, ou ceux qui promeuvent le transhumanisme, convoquent les juristes pour leur intimer l’ordre de mettre en musique les prétendues avancées de la science. Malheureusement, des juristes se prêtent à cette injonction et acceptent que la science dicte au droit ce qu’il doit être. Ce ne sont pas des penseurs, ce sont des techniciens. Mais bien d’autres juristes, qui ont été reçus et entendus par le législateur sans toutefois être écoutés, accomplissent sans défaillir et sans renoncer leur mission de réfléchir et définir un droit qui encadre la science pour protéger les êtres humains. Le droit, dans sa définition originelle, est donc indispensable. Il n’exclut pas cependant le combat moral qui est d’abord à mener en chacun de nous. C’est notre unité de vie qui pourra contribuer à faire reculer les idéologies mortifères.

R&N : La PMA à visée thérapeutique ne devait-elle pas nécessairement aboutir à la PMA pour tous ? La Technique utilisée pour réparer l’injustice naturelle qu’est la stérilité n’est-elle pas en soi problématique ?

OLIVIA SARTON : Il est certain que la PMA a ouvert la boîte de Pandore. C’est un grand marché très lucratif. Au lieu de chercher des solutions pour combattre l’infertilité qui augmente année après année, on a préféré développer la PMA. On commence à comprendre les causes de l’infertilité, notamment environnementales et comportementales, mais aucune politique n’est mise en place pour lutter contre ces facteurs. On préfère laisser les causes accroître la difficulté pour ensuite appliquer un emplâtre sur le mal causé. Une technique plus respectueuse de l’homme, comme la NaProtechnologie, est largement ignorée en France alors que son taux de succès est supérieur à celui de la PMA, y compris pour des femmes n’ayant pas réussi à avoir un enfant avec plusieurs tentatives de FIV. Mais elle ne profite pas aux acteurs gourmands du gigantesque marché de la procréation. Elle est donc disqualifiée par les lobbies.

R&N : Que répondez-vous à l’argument de l’égalité de traitement en matière d’accès à la PMA ?

OLIVIA SARTON : Les arguments sont connus mais sont systématiquement écartés par les promoteurs du projet. L’égalité ne signifie pas traiter tout le monde de la même manière mais seulement ceux placés dans une situation identique ou équivalente. Ainsi, comme l’ont rappelé le Conseil d’Etat dans une décision du 28 septembre 2018 ainsi que le Conseil Constitutionnel dans une décision du 17 mai 2013, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Les couples de femmes et les femmes seules ne sont pas au regard de la procréation dans la même situation qu’un couple homme-femme : elles ne peuvent pas procréer naturellement. Par ailleurs, aujourd’hui les couples homme-femme n’ont pas droit à la PMA sans condition, mais seulement s’ils souffrent d’une infertilité médicalement constatée ou pour éviter la transmission d’une maladie grave. Jusqu’à maintenant les couples homme-femme fertiles ou âgés n’avaient pas non plus accès à la PMA. Cette fausse notion de l’égalité s’oppose à l’essence de notre humanité, marquée par la finitude.

R&N : Avec l’adoption de la PMA, le commerce des gamètes risque-t-il d’être admis ?

OLIVIA SARTON : En théorie non puisqu’un amendement au projet de loi a prévu l’interdiction de l’importation ou de l’exportation de gamètes à titre commercial. Dans la réalité, et compte-tenu du nombre insuffisant de gamètes par rapport à la demande, il y aura nécessairement des dérives soit en masquant l’aspect commercial sous un euphémisme d’indemnisation ou de prise en charge de frais, soit par la création d’un commerce souterrain qui ne sera pas sanctionné et dont l’existence permettra quelques années plus tard sa légalisation sous prétexte d’encadrement et de contrôle.

R&N : Quels sont les risques au niveau de la filiation et de la parenté ? La PMA post mortem, digne d’un scénario de science-fiction, pourrait-elle advenir ?

OLIVIA SARTON : Avec ce projet de loi, c’est le sens même de la filiation qui change : la filiation dans ce projet n’indique plus à l’enfant de qui il est né, pas même symboliquement. Elle désigne à l’enfant non plus des parents mais des responsables légaux comme les autres, au même titre qu’un tuteur. Or, un tuteur n’a jamais indiqué à qui que ce soit son origine ; il n’inscrit personne dans une généalogie ; il n’indique à personne de qui il est né. Les enfants issus de PMA avec tiers donneur auront le droit à leur majorité de connaître leur « géniteur » mais pas d’établir une filiation avec lui. Ils seront donc privés de filiation paternelle, ce qui est contraire aux droits de l’enfant définis dans la Convention Internationale des droits de l’enfant.

On nous rétorque que c’est déjà le cas pour les enfants issus de PMA avec tiers donneur dans un couple hétérosexuel. La situation est en partie différente puisque ces enfants ont effectivement un père légal, le mari de leur mère. Ce ne sera pas le cas pour les enfants nés de PMA réalisée pour une femme célibataire ou pour des femmes homosexuelles. Cependant, les situations se rejoignent car ces enfants issus des dons actuels veulent, pour la majeure partie d’entre eux, connaître et rencontrer leur géniteur et même parfois créer des liens familiaux avec lui, contrairement à ce que les médias nous disent. Ce sera d’autant plus vrai pour les enfants privés de père.

Une autre conséquence dissimulée de ce projet de loi, c’est qu’en passant d’une filiation biologique à une filiation d’intention (ce qui compte, c’est de vouloir être parent), on met en place les conditions pour que disparaisse l’action en recherche de paternité qui existe aujourd’hui. En effet, on ne pourra plus imposer à un homme de devenir père contre son gré lorsqu’il affirmera avoir simplement souhaité une relation sexuelle sans intention de concevoir un enfant. C’est un véritable bond en arrière pour les enfants et pour les femmes mères d’un enfant dont le géniteur ne veut pas assumer sa paternité.

À ce stade de l’examen de projet de loi, la PMA post-mortem n’a pas été admise. Mais elle peut revenir au cours du processus d’adoption de la loi. Par ailleurs, la femme veuve ne peut plus utiliser les gamètes de son mari ou l’embryon conçu avec les gamètes de celui-ci, mais elle pourra en sa qualité de femme célibataire, prétendre à une PMA (avec gamètes d’un tiers donneur). L’enfant n’aura donc de toute façon pas de père.

R&N : Qui dit PMA pour tous dit GPA (gestation pour autrui), non ?

OLIVIA SARTON : Le législateur promet qu’il n’y aurait pas de GPA. Une telle promesse n’est en rien une garantie. Rappelons que le comité d’éthique s’était prononcé contre la PMA pour les femmes en 2005 pour de très bonnes raisons toujours valables et qui ne l’ont pas empêché de passer outre en 2017. Au sein de l’Assemblée nationale, la revendication de la GPA est acceptée par plusieurs députés, parmi lesquels Jean-Louis Touraine, médecin et membre rapporteur de la commission spéciale bioéthique en charge de l’examen du projet de loi avant la discussion en séance publique. Il soutient une GPA qu’il qualifie d’éthique, ce qui n’existe pas. La GPA est intrinsèquement un acte de réification d’un enfant (il est acheté, considéré comme une chose) et une forme d’esclavage pour les mères. La France refuse déjà de s’opposer aux pratiques illégales mises en œuvre par ses ressortissants : elle accepte de transcrire la filiation des enfants nés de GPA réalisée à l’étranger par des français alors qu’elle pourrait les refuser, l’état-civil étranger produisant ses effets en France. Elle n’a pas cherché à ce jour à inscrire dans le code pénal des sanctions contre ceux qui recourent à la GPA à l’étranger puis reviennent en France réclamer l’enregistrement de leurs pratiques.

À partir du moment où l’on revendique une égalité mal comprise entre couples homme/femme infertiles et femmes au regard de la PMA, cette même notion tronquée d’égalité conduira à justifier la GPA par la prétendue inégalité subie par les hommes par rapport aux femmes. Autrement dit, à partir du moment où on accepte de mettre de côté les droits de l’enfant, concrètement d’effacer la branche paternelle de sa filiation, pour fabriquer des bébés sur mesure afin de réaliser le désir des femmes, pourquoi ne pas effacer la branche maternelle et fabriquer des enfants pour réaliser cette fois le désir des hommes ? Dès lors qu’on a congédié l’argument de la nature (deux femmes ne peuvent pas procréer ensemble naturellement), on ne voit pas pourquoi on ne le congédierait pas également pour les hommes (s’ils ne euvent pas porter un enfant, une autre le fera pour eux). Enfin, les autres arguments retenus pour justifier la PMA pour tous (mettre fin à une prétendue contrainte pesant sur les femmes célibataires ou homosexuelles de se rendre à l’étranger, mettre fin à une prétendue inégalité entre les enfants et une prétendue insécurité juridique) seront mis en avant pour justifier la GPA.

R&N : Quels sont les autres dérives pouvant découler du projet de loi bioéthique si celui-ci est adopté ?

OLIVIA SARTON : Malheureusement, elles sont nombreuses mais comme la PMA occupe l’espace médiatique, ces dérives sont assez peu connues et relayées. En voici deux.

  • L’auto-conservation des gamètes sans nécessité thérapeutique a d’ores et déjà été votée par l’Assemblée. Par cette mesure, on cherche encore à faire prévaloir une toute-puissance de la technique sur la nature, et chacun – et plus spécialement bien sûr les femmes – va être incité à prélever ses gamètes à un âge où il lui serait facile de procréer, pour repousser la conception et la naissance d’un enfant à un âge où la nature ne lui permettrait plus ou plus aussi facilement de le faire. Cette mesure vise à faire échec à la fameuse horloge biologique de la femme. Elle est contraire au principe de la bienfaisance en médecine car elle expose la femme à une intervention médicale lourde sans nécessité thérapeutique, avec une promesse fallacieuse : si les ovocytes conservés seront prélevés « jeunes », le corps de la femme va vieillir et le succès de la PMA ultérieure n’est en rien garanti, et ne sera pas sans risque pour la femme. Par ailleurs, l’intérêt de l’enfant commande qu’une femme ait un enfant lorsqu’elle est en âge de procréer naturellement. Reculer l’âge de la procréation à la fin de la période de fertilité de la femme, soit à l’âge de la ménopause, c’est imposer à un enfant une mère âgée. Cela ne va pas sans entraîner des difficultés peu saines pour l’enfant : risque de perdre sa mère prématurément, ne pas pouvoir partager certaines activités avec elle (compte-tenu de son âge ne lui permettant pas de suivre le même rythme qu’une personne de 30 ans), être confronté dès sa jeunesse aux problématiques de vieillissement de sa mère et de prise en charge d’une personne âgée. Cette mesure constitue enfin un recul pour l’égalité homme-femme dans le milieu professionnel. Dès lors que les femmes auront la possibilité de vitrifier leurs gamètes, elles « paieront » directement ou indirectement le choix qu’elles poseront de ne pas le faire et d’avoir des enfants dans un temps biologique.
  • La création d’embryon chimérique.
    Le projet de loi (article 15) prévoit « l’insertion de cellules souches pluripotentes induites dans un embryon animal dans le but de son transfert chez la femelle ». Cela consiste à modifier l’édition du génome chez un embryon animal afin de bloquer le développement d’un organe (pancréas, foie, etc...) puis d’introduire des cellules-souches humaines capables de se transformer en n’importe quel tissu et organe. Ces cellules souches humaines vont se développer dans l’embryon animal à la place de l’organe manquant. Le but affiché dans un premier temps est de pouvoir ainsi pratiquer de la xénotransplantation, c’est-à-dire d’abattre ces animaux pour prélever les organes créés à partir de cellules souches humaines et de greffer pancréas, cœur, foie, etc. chez des hommes ou femmes malades. Sous prétexte de bons sentiments, il s’agit d’une transgression, le franchissement de la barrière des espèces, extrêmement inquiétante. Bref, pas le moment de rester les bras croisés, à chacun de s’exprimer d’une manière ou d’une autre !

[1Conseil d’Etat, Révision de la loi de bioéthique, quelles options pour demain, Paris, la Documentation française, 28 juin 2018, cité par Mgr d’Ornellas, cf. ci-dessous.

[2Mgr Pierre d’Ornellas, Bioéthique, quel monde voulons-nous ?, p. 19 - Bayard-Cerf-Mame, 2019.

[3STOEKLE Henri-Corto et VOGT Guillaume, La bioéthique, science ou religion ?, 1er octobre 2019 in https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-bioethique-science-ou-religion-1136239

11 octobre 2019 Karl Peyrade , ,

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