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Unhate et autre Picnic

18 novembre 2011 Hippoliteia

La marque italienne Benetton s’est offert cette semaine un dérapage planétaire avec sa dernière affiche publicitaire, montrant le pape Benoît XVI et l’imam égyptien Ahmed El Tayyeb, s’embrassant langoureusement. L’objectif aurait été de promouvoir la Paix et pour se faire, elle avait choisi de provoquer les deux religions qui comptent le plus grands nombres de fidèles dans le monde : l’islam et le catholicisme, au mépris de toute bienveillance préalable indispensable au dialogue et donc à toute relation de paix.

Ce n’est rien de plus au fond que de l’orgueil, doublé d’un désintérêt profond sur le discours réel de ces religieux, autorisant la marque à bafouer tout ce qui est déjà mis en œuvre par ceux-là. Sous le patronage d’un humour acide et grotesque, Benetton propose « généreusement » à l’occasion d’une affiche publicitaire, une message de « Paix et de Fraternité », contre la haine. Ce message est d’ailleurs très limité. J’extrapole en parlant de paix et de fraternité, l’« united color » de parle que de non-haine ; une morale aux exigences très floues me semble-t-il, qui va de l’indifférence totale à l’idolâtrie. Tout cela pour faire de la pub !

Évidemment la réaction du Vatican, la réaction de la Maison Blanche, permettent à Ben’ de se positionner en victime, face à une censure inquisitoriale ; un nouveau martyr de la liberté de pensée. On se retrouve dans la même dialectique, qu’avec nos pièces de théâtre et nos Piss-Christ : la victime du mépris dès lors qu’elle se plaint, devient le véritable agresseur, et agresseur plus vil encore puisqu’il serait contre la sacro-sainte liberté d’expression.

Ces actes de chritianophobie [1], s’ils poursuivent des objectifs parfois différents : l’art ou le business, repose sur le même positionnement de leurs auteurs en arbitre de l’ordre moral, positionnement rendu possible par la liberté d’expression elle-même. Ces exemples sont symptomatiques de cette société où n’importe qui peut énoncer sa propre morale. Ce relativisme a été dénoncé sans cesse, mais la liberté lui donne aujourd’hui un tour nouveau et pervers, faisant de chacun un individu moralement souverain.

Mais alors que l’art se propose de mettre en question la morale, la prend pour objet de réflexions, ou bien la critique (on est d’accord ou pas ensuite, c’est une autre question), Benetton quant à elle, cherche avant tout à faire des bénéfices, – c’est l’objectif naturel de toute entreprise. À cette fin légitime : faire des bénéfices, elle use du fait que cette souveraineté morale est un progrès, un mieux, donc plus attractif et plus apte à susciter un désir d’achat.

Je m’explique. Derrière cette campagne de pub, ce dessine une anthropologie – décrite avec une très grande acuité par Nietzsche – dont le principe est l’évolution constante de l’homme – vers le surhomme – vers un type évolué, avancé, d’homme, plus libre, plus fort et plus autonome que son père. L’habilitation à émettre un discours moral intouchable, traduit ce sentiment d’appartenir à cette caste nouvelle des hommes émancipés des tutelles, des anciens carcans religieux ou autres. L’objectif de la publicité est que le client s’identifie à cet idéal de l’homme nouveau, quant à la critique elle se trouve automatiquement classé dans la catégorie inférieure des diktats passéistes anti-homme libre.

Benetton ne s’intéresse aucunement à la paix ou à la guerre, ce qui l’intéresse c’est ce statut de symbole de l’évolution, qui lui permet d’attirer à elle le client avide de modernité et de libération. Elle interroge le client : « es-tu un homme accompli, un homme moderne et libre, indépendant d’esprit et drôle ? ». Question oratoire qui dans son style direct donnerait : « Pour le prouver, si tu es cet homme, tu te dois, il est logique, que tu t’habilles en Benetton ». Rhétorique d’autant plus implacable qu’elle est inconsciente, subliminale, et permet au passage de ne pas avoir à discuter des vêtements en eux-mêmes ; porté du Benetton ce n’est pas porter de « beaux » vêtements, c’est porter les vêtements de l’homme évolué, du surhomme.

En réalité, ce n’est pas de l’ironie, que Frédéric Mitterrand a souri, c’est ce « point de vue historique », qui lui permet, comme aux publicitaires de Benetton, de regarder avec mépris, avec l’ironie de la moquerie, tout ce qu’il tient pour du passé, et donc du dépassé.

“ Jadis tout le monde était fou ”, diront les plus malins, en clignant de l’œil. [...]
“ Nous avons inventé le bonheur ”, diront les Derniers Hommes, en clignant de l’œil.
(Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra).

(Publié en partenariat avec Hippoliteia)


[1j’emploie christianophobie par facilité, même si je n’aime pas ce mot qui ne rend pas bien compte de ce que sont réellement ces actes, et de leur diversité.

18 novembre 2011 Hippoliteia

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